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La sélection du sorgho

LES PRINCIPES DE SÉLECTION DU SORGHO

Essais de sélection du sorgho au champ – © SEMAE / Sébastien Champion

Comme le maïs, le sorgho est, à l’origine, une plante de climat chaud. Les anciennes variétés locales du Nigeria ou du Soudan ne pourraient pas être cultivées sous nos latitudes. Pour son acclimatation en zones tempérées, les premiers travaux de sélection ont débuté aux États-Unis, à la fin du XIXe siècle. L’objectif numéro un était la précocité : transformer les variétés africaines, très hautes et très tardives, en variétés précoces, plus adaptées au climat européen.

Pour ces travaux d’amélioration génétique, les sélectionneurs ont eu – et disposent encore – d’un nombre important de « races ». La première tâche a consisté à collecter et à caractériser ces variétés locales paysannes. Des prospections ont été organisées sur tous les continents et dans toutes les zones historiques de culture. Plusieurs organisations nationales ou internationales ont participé à cette collecte et, généralement, un double des échantillons collectés, a été remis à l’Icrisat (Institut international de recherche sur les cultures des zones tropicales semi-arides), mandaté pour gérer la collection mondiale des sorghos. Le Centre national de conservation des ressources génétiques (NCGRP) aux USA, le Cirad et l’IRD en France conservent également des ressources génétiques. Aujourd’hui, on estime autour de 200.000 le nombre des variétés détenues dans ces différentes institutions. Ces collections constituent un capital génétique de grande importance.

Les méthodes de sélection classiques du sorgho commencent par l’évaluation et la sélection généalogique. Son principe repose sur l’exploitation de la variabilité originale issue de croisements entre des variétés-lignées ayant des caractères d’intérêt complémentaires. En quelques années, après une série d’autofécondations et de semis, les descendances sont triées et les recombinants intéressants progressivement fixés. Reste à mettre en essais comparatifs ces nouvelles lignées, pour comparaison.

Une seconde méthode est le rétrocroisement ou back-cross (croisement de retour), pour éliminer un défaut dont le déterminisme génétique est simple. La variété à modifier est croisée avec une autre, dotée du caractère correcteur. Dans la descendance issue de ce croisement, les plantes qui présentent le caractère correcteur sont recroisées avec le parent à corriger. Par plusieurs croisements successifs de retour, on obtient une variété de plus en plus proche génétiquement de la variété de départ mais sans son défaut initial.

Aux États-Unis, c’est cette méthode de rétrocroisement qui a été utilisée pour transformer des variétés tropicales « photopériodiques », ou « de jours courts », en variétés insensibles à la longueur du jour, donc cultivables sous d’autres latitudes. L’autre caractère prioritaire était la hauteur des plantes : les sorghos originaires d’Afrique mesurent près de 3 mètres, tandis que ceux cultivés aux Etats-Unis ne dépassent pas 1m50. Cette réduction de taille s’avère nécessaire pour limiter les risques de verse, avec des panicules bien chargés en grains.

L’hybridation, qui a révolutionné le marché du maïs, a été appliquée au sorgho. Comme le maïs, l’espèce est monoïque, c’est-à-dire qu’elle possède les fleurs mâles et femelles sur le même pied, ce qui permet la fécondation croisée. Pour produire une variété hybride, il faut disposer d’une lignée mâle, pollinisatrice, et d’une lignée femelle, qui ne doit absolument pas s’autoféconder. Pour obtenir la lignée femelle, il faut généralement castrer la plante, ce qui n’est pas facile dans le cas du sorgho.

Une grande avancée est venue de la découverte d’une stérilité mâle en 1954 aux USA (Stephens et Holland), dans des descendances issues de croisements entre deux cultivars, Milo et Kafir, tous deux complètement fertiles. Cette stérilité mâle est dite cytoplasmique-génétique, car elle est due à l’interaction de facteurs induisant la stérilité dans le cytoplasme et de facteurs génétiques dans le noyau.

La production des semences hybrides peut être explicitée par le schéma ci-après.

  • La lignée B est appelée « mainteneuse » (de stérilité pollinique). Elle est obtenue par autofécondations successives à partir d’un croisement de départ.
  • La lignée A est dite « mâle stérile ». Elle est la version sur cytoplasme stérile de la lignée B, obtenue par backcross sur une source de stérilité cytoplasmique.
  • La lignée R est dénommée « restauratrice » (de fertilité pollinique). Elle est obtenue par autofécondations dans la descendance d’un croisement de départ. Porteuse des allèles dominants de restauration de la fertilité, on la multiplie par autofécondation.

Les premiers sorghos hybrides ont apporté de réels progrès, parmi lesquels une plus grande précocité, une meilleure productivité ainsi qu’une résistance aux maladies améliorée.

Plus récemment, le sorgho a bénéficié de la révolution biotechnologique et de l’exploration du génome. En 2009, une équipe internationale a réussi le séquençage du génome du sorgho. Son principe repose sur l’amplification des fragments d’ADN par PCR (réaction de polymérisation en chaîne), afin de déterminer la succession linéaire des bases A, C, G et T prenant part à la structure de l’ADN. La lecture de cette séquence permet d’étudier l’information biologique et d’identifier les parties qui jouent sur un caractère d’intérêt donné. C’est la sélection génomique ou « assistée par marqueurs ». Le but est de détecter dans le patrimoine génétique la présence ou l’absence de gènes liés à des caractéristiques agronomiques précises.

L’équipe qui a réussi le séquençage, menée par le Pr Andrew Paterson de l’Université de Georgie à Athens (Etats-Unis), a notamment repéré des duplications de gènes particulières, absentes chez les autres céréales, et qui pourraient contribuer à la capacité du sorgho à supporter la sécheresse.

LES AXES DE SÉLECTION DU SORGHO

Micro-parcelles essais sélection sorgho – © SEMAE / Sébastien Champion

Les Etats-Unis ne sont pas les seuls à s’intéresser au sorgho. La dynamique est grande en Europe où, comme en maïs, les sélectionneurs ont travaillé sur la génétique hybride. Avec de bons résultats : plus de 300 variétés de sorgho sont inscrites sur le catalogue européen, en grain et fourrage, dont 95% hybrides.

Plusieurs entreprises en France s’intéressent à cette espèce. Elles sont regroupées dans l’association Pro-Sorgho*.

En Europe, grâce à ces efforts de sélection, les rendements progressent régulièrement depuis 30 ans, au rythme de 1% par an. Fort de cette performance, le sorgho européen mérite bien ses étoiles. L’organisation Sorghum ID communique sur le sorgho « étoilé » et l’accent est mis sur les nets progrès de la sélection au cours des dernières années. Selon Sorghum ID, les 8 axes de sélection pour la recherche européenne sont :

  • rendement et stabilité
  • précocité à maturité
  • tolérance à la sécheresse
  • résistance à la verse
  • résistance aux maladies
  • résistance aux prédateurs
  • qualité du grain (très faible teneur en tanins, couleur et texture du grain, teneur en amidon, qualité sanitaire du grain)
  • qualité du fourrage (digestibilité et valeur alimentaire, caractère BmR, teneur en sucres)

*Pro-Sorgho est une association sans but lucratif regroupant 9 sociétés semencières impliquées dans la sélection et/ou la commercialisation de variétés de sorgho grain et fourrager : Barenbrug, Caussade Semences, Euralis Semences, Eurosorgho, Jouffray Drillaud, KWS, R2N-RAGT Semences, Semences de France, Semences de Provence.

En plus de la précocité à maturité, les semenciers européens mènent des recherches importantes sur la tolérance au froid : c’est un critère déterminant pour étendre les zones de production du sorgho dans le nord de l’Europe. Aujourd’hui, pour semer du sorgho, il faut attendre que la température du sol atteigne 12°C. Avec les futures variétés, ce seuil pourrait être abaissé, ce qui autorisera des semis et des récoltes plus précoces, avec un meilleur potentiel de rendement et une meilleure qualité de graine.

Concernant la productivité, selon le type de sorghos, grain ou grain-sucre ou grain-ensilage, les chercheurs tentent de trouver un compromis entre production de grains, de sucre et de biomasse. Les études se poursuivent pour mieux comprendre les processus physiologiques en jeu. C’est notamment la relation entre l’anatomie des entre-nœuds et la teneur en sucre qui est analysée. On a récemment mis en évidence le rôle joué par le caractère « stay-green » : un retard de la sénescence des feuilles permet de prolonger l’activité photosynthétique en fin de cycle, assurant ainsi un bon remplissage du grain, le maintien du rendement en sucre, même dans des conditions de déficit hydrique au stade post-floraison.

Sur la composition du grain, les travaux sont tout aussi importants. L’objectif est de tendre vers une texture et une structure des graines qui seraient encore plus favorables aux transformations destinées à l’alimentation animale, mais aussi à l’alimentation humaine, puisque cette demande croît très vite. Les composants sont analysés en détails. Si l’on remonte un peu en arrière, le sorgho avait la réputation de contenir des tanins. Côté avantage, ces polyphénols peuvent représenter une défense contre l’attaque de prédateurs comme les oiseaux. Mais ils ont l’inconvénient de constituer un facteur antinutritionnel important chez les monogastriques. C’est pourquoi, depuis les années 1990, il a été décidé d’introduire ce critère (moins de 0,30% de la matière sèche) pour l’inscription des nouvelles variétés en France et en Europe. Les efforts des sélectionneurs ont été fructueux, en Europe, le sorgho est désormais dépourvu de tanins, ou avec un taux tellement faible qu’il n’a aucun impact sur la qualité des aliments. Par contre, on relève que certains sorghos d’importation (hors UE) peuvent encore en contenir (1 à 1,5%), réduisant ainsi leur valeur nutritionnelle.

La teneur en protéines du sorgho est un critère important pour les fabricants d’aliments du bétail. Comparé au maïs, le sorgho se distingue par une teneur en protéines un peu plus élevée (10 à 12%), mais cela dépend des variétés et du contexte pédoclimatiques. Le profil des acides aminés est un peu différent : moins de lysine et d’acides aminés soufrés, plus de thréonine et de tryptophane. La teneur en lysine est regardée de près par les sélectionneurs, des recherches sont en cours pour améliorer ce critère. En termes d’apport protéique, les grains de sorgho ont l’avantage sur le blé, l’orge ou le maïs. Pour autant, le procédé de transformation n’est pas à négliger. De la mouture résulte la digestibilité dans les aliments. Comme le grain de sorgho est plus petit et plus dur que le grain de maïs, il a besoin d’être décomposé en fines particules, ni trop grosses, ni trop petites : 2 mm est un bon compromis. En plus des protéines, la composition en éléments minéraux pourrait être améliorée, toujours pour une meilleure valeur nutritionnelle. En particulier, on vise à accroître la biodisponibilité du fer et du zinc.

La résistance aux maladies, comme pour toutes les espèces agricoles, est un critère essentiel en sélection. En premier, la fonte de semis constitue la principale cause des mauvaises levées du sorgho. Elle concerne toutes les zones de culture. Les parasites responsables sont généralement les champignons du sol pythium et fusarium, ou encore rhizoctonia ou phoma. L’utilisation de semences certifiées traitées garantit une protection contre ces maladies fongiques.

En végétation, les principales maladies sont liées à des champignons de type fusariose ou macrophomina. Elles peuvent provoquer une pourriture du collet et des bas de tiges, entraînant, dans les cas les plus graves, des problèmes de verse en fin de cycle.

Introduites en zones tempérées, des variétés locales ont pu se montrer moins tolérantes à certaines maladies, car elles souffrent d’être déplacées de leur milieu d’origine. La sélection doit veiller à écarter cette mauvaise incidence. D’où l’importance de retenir des sorghos bien adaptés aux conditions de sol et de climat. L’agronomie, comme la rotation des cultures, est à privilégier. De manière générale, le sorgho a l’avantage d’être moins attaqué en climat tempéré qu’en climat tropical. En Afrique, les résistances à certains ravageurs tels que le striga, la cécidomyie ou les punaises des panicules sont plus précisément étudiées. Sous nos latitudes, le sorgho peut être exposé au charbon ou aux insectes foreurs, comme la sésamie et la pyrale. A surveiller également les dégâts d’héliothis.

Le tableau suivant réunit les nombreux critères européens de sélection du sorgho.

ACTIONS SUR LA MORPHOLOGIE
  • Hauteur de la plante
  • Nombre de grains par panicule
  • Longueur du dernier entre-nœud (plus long est le dernier,
    plus la panicule est dégagée et se dessèche plus vite, facilitant la récolte)
  • Taillage
  • Compacité de la panicule
  • Grosseur du grain
ACTIONS SUR LA PHYSIOLOGIE
  • Précocité
  • Tolérance aux basses températures à la levée
  • Tolérance aux basses températures à la floraison
  • Tolérance à la sécheresse
  • « Stay green »
  • Résistance à la verse
  • Résistance aux maladies
  • Résistance aux prédateurs
ACTIONS SUR LES CARACTÉRISTIQUES TECHNOLOGIQUES
  • Faible teneur en tanins (meilleure digestibilité des protéines par les animaux)
  • Teneur en certains acides aminés
  • Teneur en amidon
  • Teneur en sucres
  • Couleur de l’albumen
  • Texture du grain
  • Couleur des enveloppes
  • Faible teneur en lignine